
En 1911, la commune très agricole comptait encore 156 habitants. (Crédit : lavilledieu-doubs.fr)
L’indexation, la semaine passée, du recensement de La Villedieu en 1911 par musiq1 donne l’occasion d’évoquer l’histoire singulière de ce village disparu du Doubs, rattaché en 1962 à Vercel.
Dans le sillon des traumatismes de la Grande-Guerre, faits de morts et de lieux martyrs, cette commune aura le triste privilège de devenir en 1926 la première de France à être rayée de la carte en temps de paix.
Tout commence en mai 1914, quand au son des bottes qui s’élève et se rapproche chaque jour un peu plus, on veut agrandir le tout proche camp militaire du Valdahon. Un décret d’expropriation est décidé à l’encontre des villageois. Son application n’en sera différée qu’à la faveur du conflit.
Une certaine conception de la défense nationale, la préparation militaire,
Emile barbier, dernier maire du village
exigent que nous quittions nos foyers
Officiellement, le jour venu, les habitants s’y résignent. Le conseil municipal dit sacrifier à la patrie cette très vieille commune, établie dès 1180 par les chevaliers de Saint-Jean. « Notre patrimoine et notre civisme nous imposent de délaisser nos biens » conclue l’ultime registre des délibérations municipales. « Une certaine conception de la défense nationale, la préparation militaire, exigent que nous quittions nos foyers », détaille le dernier maire Emile Barbier. « Nombreux sont ceux qui viennent de mourir pour une grande cause. D’autres doivent se préparer, dès le temps de paix, à se sacrifier à leur tour. »

Pourtant, ce départ à marche forcée, cette destruction « à coups de canon, en temps de paix, par le grand Etat-Major » seulement combattus par le Canard Enchaîné et l’Impartial Français (organe disparu en 1929) laisseront d’importants traumatismes dans la communauté.
D’autant que l’indemnisation des biens et terres se fera au rabais. « On a montré une grande ladrerie à fixer des sommes et, avant de les payer, on a fait attendre les gens au maximum, on les a contraints à d’innombrables réclamations et procès » témoignait ainsi l’abbé Jean Garneret (1907-2002), chroniqueur comtois bien connu, dans les colonnes du journal Le Monde en 1998.
Ce n’est qu’en 1969 que les dus seront versés aux expropriés ou à leurs héritiers. Et il faudra attendre 1976 pour qu’un commandant du camp du Valdahon, plus sensible au patrimoine que ses prédécesseurs, ne s’émeuve du sort de l’église chancelante et décide d’extraire le site du champ de manœuvre, préservant ainsi les toutes dernières pierres, ultimes vestiges de la vie des hommes ici.
Aujourd’hui, La Villedieu, qui a compté jusqu’à 240 habitants en 1876, a malgré tout pratiquement perdu toute trace visible de son passé. Ne subsistent que les deux fontaines et un clocher en péril, point de ralliement des ultimes familles, pour se souvenir.
En 1911, trois ans avant la décision funeste, le village comptait encore 156 âmes (contre 136 en 1921), une population très majoritairement agricole, et plutôt jeune, avec 29 ans de moyenne d’âge. Qui n’aurait pas toutefois échappé aux fléaux du temps : la mobilisation générale – le sacrifice d’une génération – et l’exode rural.
La commune gardait son desservant propre, l’abbé Ernest Quintaux (1850-1918), 61 ans, qui ne verra pas l’expropriation, ainsi que son couple d’instituteurs, Emile et Héloïse Demontrond, 50 et 54 ans. Il paraît que l’école était en ordre parfait lorsque l’armée a pris possession de la commune, le 1er juin 1926.

Pour aller plus loin
- Comment le village de la Villedieu a été rayé de la carte de France,
un reportage de France 3 Bourgogne-Franche-Comté (Vidéo)